HUGUES PANASSIÉ et le Bulletin du Hot Club de France
Ecoutez autrement les chef-d'œuvres du jazz en lisant la chronique d'Hugues PANASSIÉ

Sweethearts On Parade (1940) LIONEL HAMPTON

Lionel Hampton (vib), Chew Berry (ts), Clyde Hart (piano), Allan Reuss (g), Milton Hinton (b), Cosy Cole (d)
Voilà une réédition opportune !
Il y a des années que de nombreux amateurs de jazz cherchaient à se procurer ce Sweethearts on Parade, incontestablement un des plus beaux disques qui aient été publiés sous la signature de Lionel Hampton.
Lionel l’enregistra en avril 1939 avec les musiciens suivants : Chew Berry (saxo ténor), Clyde Hart (piano), Allan Reuss (guitare), Milton Hinton (basse), Cozy Cole (batterie). On lit, sur l'étiquette du disque, en sous-titre : « a rolling rhythm » , mot à mot « un rythme roulant ». Ce sous-titre a certainement été donné par les musiciens à l'issue de l'enregistrement, car il décrit fort bien le « rythme shuffle » pratiqué par Cozy à la batterie tout au long de cette interprétation, rythme auquel adhèrent parfaitement les autres musiciens. Il se dégage un swing hallucinant de cette sorte de « roulement » continu de la section rythmique.
Lionel Hampton
Est-ce ce swing farouche qui a pareillement inspiré Lionel et Chew, ou est-ce le formidable dynamisme de ces deux grands solistes qui a peu à peu amené Cozy et le reste de la section rythmique à jouer ainsi ? Il est impossible de le dire et nous ne le saurons probablement jamais. Mais le fait est là : il y a eu une sorte de déclic au début de cette interprétation et les musiciens se sont trouvés « in the groove » comme on l'est rarement au studio d'enregistrement.
L'interprétation comprend quatre chorus. Le premier et le dernier consistent en une improvisation à deux entre Lionel (au vibraphone) et Chew; le second est un vocal de Lionel avec contrechant de saxo ténor ; le troisième est un solo de Chew.
Je crois bien qu'on peut considérer ce disque comme le meilleur qu'ait jamais enregistré Chew. Ce genre de tempo (moyen-vif) lui convient parfaitement. Il improvise à l'aide de phrases concises, claires, bien découpées, les exécutant à la fois avec une suprême aisance et un dynamisme terrible, deux qualités qui, réunies, font le grand jazzman. Par moments, il crée des phrases chantantes, mélodieuses, à d'autres moments il répète une note, un riff avec un « punch » tel que ça secoue tout l'orchestre et qu'on en sent la vibration dans le jeu de batterie de Cozy.
Pour réussi que soit le chorus en solo de Chew, je le trouve encore plus enthousiasmant lorsqu'il joue avec Lionel; il est encore plus détendu et encore plus « puncheur » dans le premier et le dernier chorus. L'effet du jeu de Chew sur celui de Lionel est saisissant : Lionel, qui a la faculté d'adhérer remarquablement à la personnalité d'un autre grand musicien (sans pour cela rien renier de sa personnalité profonde) joue ici du vibraphone dans un style très voisin de celui de Chew.
Ce dernier, d'autre part, écoute attentivement Lionel et fait admirablement concorder son improvisation avec celle du vibraphone.
L'entente entre ces deux grands jazzmen est telle que l'un reprend parfois au vol la phrase de l'autre pour la conclure, comme cela se produit de façon frappante ou cours du « pont » du chorus final.

Quel disque ! Si vous ne l'avez pas déjà, courez vous le procurer .
Bulletin du Hot Club de France N° 20 août-septembre 1952