DIZZY GILLESPIE - CHARLIE PARKER
Blue N' Boogie, Hot House, Groovin High, Dizzy atmosphere, All the things you are, Things to come, He beeped when he shoulda bopped, Emanon, One Bass Hit N° 2, Ray idea, Our delight, Good Dues blues, Oop bop Sh Bam, Thats Earl Brother
Les cinq premières interprétations, enregistrées en 1945, sont habituellement comptées parmi les premiers disques be bop, et ont été citée « ad nauseam » comme des classiques du style. En les réentendant aujourd'hui, on s'aperçoit que cette musique diffère extrêmement du bop proprement dit ; en fait, c'est du jazz, si l'on met à part certains passages des solos de Gillespie et d'un ou deux autres musiciens.
Comment en serait-il autrement ? Les sections rythmiques se composent de musiciens comme Cozy Cole, Sidney Catlett, Slam Stewart, Clyde Hart et swinguent dans la meilleure tradition du jazz ; (Charlie Parker joue à peu près comme dans les disques de l'orchestre de Jay Mac Shann) c'est-à-dire en swingman, ses solos de Hot House, Dizzy Atmosphere, All the things you are sont pleins de bonnes choses) ; et une partie des solistes sont des jazzmen.
Il n'est pas étonnant qu'à l'audition de ces premiers disques Parker-Gillespie, personne n'ait cru se trouver devant une autre musique que du Jazz. Les zazotteux, avec une affligeante mauvaise foi, abusant de I'ignorance de leurs lecteurs, ont prétendu que le hcf avait fait une pirouette en rejetant le bop après l'avoir accepté. Mais quand on sait qu'il s'agissait de disques tels que Groovin' high et qu'à l'époque on appelait aussi bien « bop » certains disques enregistrés par Hawkins, Don Byas, King Cole, Erroll Garner, on ne peut manquer de comprendre pourquoi le hcf ne pouvait qualifier le bop de faux jazz. Ce n'est que lorsqu'on entendit les disciples de Parker et de Gillespie, et réunis dans de mêmes disques à l'exclusion de tout jazzman, en 1946 et 1947 (disques qui ne furent connus en France qu'un ou deux ans plus tard) que la véritable nature du bop et son divorce d'avec le jazz devinrent évidents, incontestables.
La vérité, c'est que la rupture avec le jazz ne devint complète que lorsque Parker, Gillespie et autres jouèrent avec des sections rythmiques bop. Tant que Parker fut accompagné par une section rythmique à la Basie, comme celle de l'orchestre Jay Mc Shann, ou par des batteurs comme Cozy Cole ou Sidney Catlett, il resta ancré dans le jazz ; c'est lorsqu'il eut derrière lui les Max Roach, Bud Powell et autres boppers que tout se gâta.
Le cas de Gillespie est différent : tandis que Charlie Parker était un « natural », comme disent les musiciens, c'est-à-dire jouait spontanément, Gillespie, ou contraire, après avoir tâté du style Armstrong puis du style Eldridge, chercha délibérément à faire autre chose, se voulut original. Il fit nombre de maladroits emprunts à Parker et joua d'une manière décousue, totalement dépourvue de la continuité mélodique de Parker et ne valant que par son éblouissante vélocité instrumentale. Quand on réentend ces vieux disques, on est frappé de constater que pas un seul des solos de Dizzy ne forme un tout (le seul qui ait une certaine homogénéité est celui de Blue 'N Boogie). Si vous ôtez au changez une note du solo de Charlie Parker dans Hot House, vous rompez irrémédiablement la continuité de la pensée mélodique; mais vous pourriez chambarder des tranches entières de ces solos de Dizzy sans les abîmer, et pour une bonne raison : la continuité mélodique en est absente.
Notons que le swing affolant que créent Cozy Cole et Slam Stewart dans Dizzy atmosphere a un effet quasi-palpable sur Charlie Parker mais presque nul sur Dizzy.
Notons aussi qu'il y a un bien joli solo de piano de Clyde Hart dans AIl the things you are.
Les autres interprétations du disque sont moins bonnes et, en général plus éloignées du jazz.
Si vous voulez savoir ce qu'est du vrai bop à 100%, vous n'avez qu'à écouter le solo de saxo ténor de James Moody dons Emanon. Adieu le swing !
La plupart de ces interprétations font entendre le grand orchestre de Dizzy de 1946-1947 qui n'était pas sans qualités d'ordre technique, instrumental; et d'ailleurs, il n'y a jamais eu de grands orchestres tout à fait bop. Toutefois, certains arrangements au style « futuristique » (Things to come) sonnent encore plus grotesque aujourd'hui qu'au moment de leur publication. C'est tout juste de la musique de film d'atmosphère, dans le plus mauvais sens du terme. Les gogos qui ont salué de chef-d'oeuvre cette cavalcade de pompiers progressistes ont bonne mine aujourd'hui.
Çà et là, on trouve quelques fragments musicaux intéressants, comme la jolie introduction de piano de John Lewis à Emanon ou un passage de vibraphone de Milton Jackson; mais la seule interprétation qui soit assez bonne d'un bout à l'autre est One bass hit, grâce à la brillante partie de contrebasse de Ray Brown (qui joue abondamment en solo) et à un arrangement supérieur aux autres. Il est vrai que cette musique n'est pas d'un bopper mais d'Oscar Pettiford. C'est en tout cas ce que ce dernier m'a affirmé à New-York en 1949, se plaignant avec quelque amertume de ce qu'on lui avait volé son bien (car son nom n'est pas indiqué comme compositeur du morceau).
Conclusion : la réédition de ces anciens Gillespie nous a permis de faire le point : elle n'aura donc pas été inutile.