Eh bien voici 3 textes du « gros critique », non pas écrits en 1982 comme l’article de Bernard Niquet mais en 1938 (44 ans avant, une paille ! ), en 1968 14 ans avant et en 1972, soit encore 10 ans avant.
- 1938 ; extrait d’une lettre du « gros critique » à Salvador Nepus. ( un ami d’origine russe, harmoniciste et resté à Paris où Hugues le tenait au courant de son séjour à New York qui nous valut le livre d’Hugues « Cinq mois à New York » ) :
« Le meilleur trompette entendu jusqu’à présent est de beaucoup Franck Newton qui a une magnifique sonorité large, ample, puissante, en fait la plus belle que je connaisse en dehors de Louis (Armstrong) ».
- 1968 ; Chronique parue dans le Bulletin du HCF N°17
« Mais c’est surtout Franck Newton qui m’a surpris dans le chorus de »Who » et dans les 3 chorus de « Sunrise » ( le premier avec sourdine, les deux autres sans), il me touche aujourd’hui plus qu’il ne l’avait jamais fait. J’en conclus que pour faire la critique d’un disque, c’est un inconvénient d’avoir supervisé son enregistrement : on se reproche ensuite les imperfections qui, semble-t-il, auraient pu être évitées et on ne l’écoute pas avec la sérénité voulue. Avec un recul de 30 ans, j’entends ces Franck Newton d’une oreille décontractée et c’est probablement pourquoi j’y prends plus de plaisir car ils sont vraiment bons. »
- 1972 ; Parachevons ces exemples avec un extrait de la chronique du disque « Mezzrow-Newton-The Big Apple » Bulletin du HCF décembre 1972, 10 ans encore avant l’article de Bernard Niquet :
« Vient ensuite Franck Newton qui joue un de ses meilleurs solos enregistrés dans « Mutiny in the parlor » et mène avec lyrisme la belle improvisation collective par laquelle s’ouvre « Melody from the sky ». Mezz n’est pas aussi heureux que dans les séances de 1934 et 1937 » .
Vous croyez vraiment qu’il n’aimait pas Franck Newton, le gros critique ?
Que serait-ce s’il l’avait aimé !
Notez aussi qu’Hugues n’est pas aveuglé, comme on le prétend, par son amitié pour Mezz, et sait émettre les restrictions voulues à son égard, même s’il évoque l’emploi d’une mauvaise anche pour atténuer la rigueur du propos.
Cher Bernard Niquet, Hugues ne cherchait pas de « querelles d’allemands » à Franck Newton, mais vous faites partie de cette génération qui a été élevée, jazzistiquement, par quelques uns de ses ainés dans la haine, le mot n’est pas excessif, d’Hugues Panassié née de leur jalousie plus que de quelques traits de caractère, comportements, travers et croyances d’Hugues que tout le monde connaissait bien, sans avoir pour autant envie de l’écarteler en place de Grève.
Toute une génération a été convaincue de sa partialité alors qu’il était tout simplement ferme sur des opinions fondées sur sa riche expérience, le contact et l’amitié des musiciens noirs que personne n’avait comme lui. Dans mon petit secteur d’amateurs, je suis entouré de gens qui « n’aiment pas Panassié » sans avoir jamais lu une ligne de ses livres, ou de ses chroniques de « Jazz-Hot », de « La Revue du Jazz » ou du « Bulletin du HC ». C’est en toute ignorance qu’ils ne l’aiment pas, puisqu’on leur a dit que c’était un type impossible. Aujourd’hui, on parlerait de « bien-pensance » ou de « politiquement correct ».
On pourra faire remarquer qu‘ Hugues exprime, dans « Quand Mezzrow enregistre » chapitre 5, qu’il avait eu quelques réticences à prendre Franck Newton en partie sans doute en raison d’un style « nouveau » ou « moderne » qu’il appréciait dans d’autres contextes (voir lettre à Salvador Nepus) mais qui en ces circonstances précises s’accordait moins stylistiquement avec le reste de la formation. Il le dit clairement et avait contacté notamment Jonah Jones et Rex Stewart pas libres, renonçant à Tommy Ladnier et Sidney De Paris trop récemment utilisés et tous en effet préférables à Franck Newton dans une telle formation. Franck, en outre, semble ne pas avoir été dans sa meilleure forme ce jour-là….comme Mezz dans la séance « Big Apple », mais pour ce dernier, on n’entend personne protester ! Le plus drôle, c’est que Bernard Niquet parle lui même à ce propos de l’ « entourage un peu hétéroclite », déjà signalé plus haut dans le texte cité.
Alors essayer de nous faire croire qu’Hugues était passé complètement à côté du talent de Franck Newton, c’est sciemment tromper son monde.