Un grand musicien ne saurait guère être tenu pour responsable des bons ou mauvais résultats obtenus par ses imitateurs. Il existe cependant des styles, des modes d'expression si simples, si directs qu'ils se prêtent mieux que d'autres à servir de point de départ à des disciples.
En passant, déblayons le terrain. En cette période de pédants vaniteux, on entend dire: il ne faut imiter personne, il faut être soi-même. Mais, comme toute musique, le jazz n'est pas une abstraction. On prend contact avec lui par un ( ou plusieurs ) musiciens, et c'est l'enthousiasme éprouvé à l'audition de ce musicien qui vous pousse à faire du jazz. Tout naturellement, vous débutez en empruntant au musicien qui vous a le plus frappé sa façon de s'exprimer. Quand à votre personnalité, c'est bien simple: ou bien vous n'en avez aucune et vous ne perdrez rien en procédant ainsi; ou bien vous en avez et elle se dégagera toute seule. Tel a été le cas de Buck Clayton et de Sidney De Paris s'inspirant de Louis Armstrong ; de Ben Webster s'inspirant de Coleman Hawkins ; de Fats Waller s'inspirant de James P. Johnson, etc.
Un jazzman prend ( ou peut prendre) deux choses au musicien dont il s'inspire: ses phrases, ou plus exactement sa tournure de phrases, son style mélodique; et sa façon de faire sonner l'instrument, ce qui comprend la sonorité elle-même, le vibrato, l'attaque, la manière de découper les phrases, la pulsation donnée à ses phrases et, par voie de conséquence, la manière de swinguer.
Ce deuxième élément est beaucoup plus important que le premier, mais seuls les connaisseurs en jazz s'en rendent compte. La critique conformiste, qui est tout à fait à côté de la question, ne parle guère, lorsqu'elle s'occupe d'influences, que de la forme des phrases. Or, ne pas tenir compte du reste, c'est négliger l'essentiel. Vous n'avez qu'à imaginer un chorus uniquement fait de phrases de Louis Armstrong mais exécuté par un trompette n'ayant jamais entendu de jazz : la signification, la beauté de ces phrases, tout sera perdu.