HUGUES PANASSIÉ et le Bulletin du Hot Club de France
Ecoutez autrement les chef-d'œuvres du jazz en lisant la chronique d'Hugues PANASSIÉ

Heah me talkin' to ya (1928) LOUIS ARMSTRONG

Louis Armstrong (tp), Fred Robinson (tb), Jimmy Strong (cl), Don Redman (as), Earl Hines (p), Mancy Cara (bj), Zutty Singleton (d)
Bulletin du Hot Club de France  N° 116 mars 1962
Louis Armstrong
Heah me talkin' to ya , morceau composé et arrangé par Don Redman, contient un exposé du refrain (32 mesures sans pont) et du couplet ( 16 mesures) à quatre voix (trompette, trombone, clarinette et ténor). Ensuite, 3 chorus.

D'abord Earl Hines au piano, dont la main droite s'exprime dans le plus pur style Louis Armstrong (comparez avec le chorus de trompette à la fin de ce même morceau), ensuite Don Redman au saxo alto dont c'est le meilleur solo enregistré. Le break par lequel est amené ce chorus (4 mesures ajoutée entre le chorus de piano et celui d'alto) est d'une bien jolie ligne musicale: il est probable que Don Redman l'avait préparé (en fonction des accords que joue l'orchestre pendant ce break).

-Notez le swing avec lequel Earl Hines soutient ce chorus de Don Redman, et cela en jouant simplement les quatre temps en accords; et notez les ponctuations de cymbale de Zutty !
Pops prend le chorus final à la trompette, soutenu par des « accords d'orgue » (trombone et deux saxos) d'un excellent effet, et par un Zutty pétillant de swing (il tape sur la « cow bell » avec une mailloche enroulée dons une mèche de coton).
Pops prend le chorus final à la trompette, soutenu par des « accords d'orgue » (trombone et deux saxos) d'un excellent effet, et par un Zutty pétillant de swing (il tape sur la « cow bell » avec une mailloche enroulée dons une mèche de coton).

Ce chorus serait à lui seul suffisant pour établir la supériorité de Louis Armstrong sur tous les autres jazzmen. La pensée musicale est d'une merveilleuse logique, le développement mélodique d'un équilibre, d'une rigueur modèle, le swing déborde littéralement de la façon magistrale dont est exécuté le plus petit membre de phrase.

Le style dans lequel Pops s'exprime ici est le style « conversation » (tant employé par Chew), telle phrase affirmant ou interrogeant, telle autre répondant. La structure de chaque phrase est de la quintessence de jazz. A ce point de vue, la toute première phrase (qui, mordant sur les derniers temps du chorus précédent, s'étend sur près de 5 mesures) est peut-être la plus extraordinaire de tout le chorus: bien qu'elle soit sinueuse et complexe, Pops l'exécute tout d'une traite en puissance, faisant presque éclater la matière sonore mais sans donner le moins du monde l'impression de forcer (au contraire : la décontraction est totale).

Quant à la trame mélodique elle-même, elle n'est pas moins remarquable : cette phrase se subdivise en plusieurs petites phrases se répondant les unes aux autres à une allure record (et jamais égalée par les boppers : ne pas confondre la vitesse de pensée et l'accumulation rapide de notes).

Vous pouvez m'en croire: c'est un connaisseur en jazz, un vrai connaisseur, celui qui repère cette phrase et en goûte toute la beauté. Quant à celui qui n'y voit rien, il a encore à apprendre ce qu'EST le jazz.


Ce chorus est exactement aussi beau que le fameux solo de Tight like this ; s'il « accroche » moins, c'est parce que Tight like this est dans le mode mineur, ce qui donne une couleur dramatique au solo de Pops, couleur à laquelle les non-connaisseurs sont toujours très sensibles.