Est-ce ce swing farouche qui a pareillement inspiré Lionel et Chew, ou est-ce le formidable dynamisme de ces deux grands solistes qui a peu à peu amené Cozy et le reste de la section rythmique à jouer ainsi ? Il est impossible de le dire et nous ne le saurons probablement jamais. Mais le fait est là : il y a eu une sorte de déclic au début de cette interprétation et les musiciens se sont trouvés « in the groove » comme on l'est rarement au studio d'enregistrement.
L'interprétation comprend quatre chorus. Le premier et le dernier consistent en une improvisation à deux entre Lionel (au vibraphone) et Chew; le second est un vocal de Lionel avec contrechant de saxo ténor ; le troisième est un solo de Chew.
Je crois bien qu'on peut considérer ce disque comme le meilleur qu'ait jamais enregistré Chew. Ce genre de tempo (moyen-vif) lui convient parfaitement. Il improvise à l'aide de phrases concises, claires, bien découpées, les exécutant à la fois avec une suprême aisance et un dynamisme terrible, deux qualités qui, réunies, font le grand jazzman. Par moments, il crée des phrases chantantes, mélodieuses, à d'autres moments il répète une note, un riff avec un « punch » tel que ça secoue tout l'orchestre et qu'on en sent la vibration dans le jeu de batterie de Cozy.
Pour réussi que soit le chorus en solo de Chew, je le trouve encore plus enthousiasmant lorsqu'il joue avec Lionel; il est encore plus détendu et encore plus « puncheur » dans le premier et le dernier chorus. L'effet du jeu de Chew sur celui de Lionel est saisissant : Lionel, qui a la faculté d'adhérer remarquablement à la personnalité d'un autre grand musicien (sans pour cela rien renier de sa personnalité profonde) joue ici du vibraphone dans un style très voisin de celui de Chew.