HUGUES PANASSIÉ et le Bulletin du Hot Club de France
Ecoutez autrement les chef-d'œuvres du jazz en lisant la chronique d'Hugues PANASSIÉ

Teddy Bear (1959) ILLINOIS JACQUET

Russell Jacquet, Fortunatus "Fip" Ricard (tp) Arnette Sparrow (tb) Frank Haywood, Budd Johnson, Illinois Jacquet (ts) Haywood Henry (bar) Jimmy Jones (p,arr) Barry Galbraith (g) Al Lucas (b) Oliver Jackson (d)
Bulletin du Hot Club de France N° 190 septembre 1969
ILLINOIS JACOUET « FLIES AGAIN »(33 t.. 30 cm. -Mode C. M. D. R. 9673 - stéréo - distribution Vogue) : Sleeping Susan, Robbin’s Nest, Lean Baby. Bottoms Up. That’s my desire, Black Velvet sur une face  ; Teddy Bear, Pleasing Plump, I don’t stand a ghost of a chance, Pot-Pourri, The King au. verso. -— Ces interprétations ont été enregistrées à New-York vers fin 1958 ou début 1959 par un orchestre compose de Russell Jacquet, Fortunatus Richard (tn), Arnett Sparrow (tb), Illinois Jacquet, Budd Johnson (ts-bsl. Jimmy Jones (p), Joe Gailbraith (g), Al Lucas (b), Oliver Jackson (dms).
Du jazz de première qualité ! Je considère même ce recueil comme un des meilleurs qui aient été publiés sous le nom d’lllinois Jacquet. C’est un des trop rares disques dans lesquels la sonorité du grand saxo ténor nous est fidèlement restituée. Je ne sais pourquoi, la si belle sonorité de Jacquet est souvent durcie ou appauvrie en disque. Je m’en suis aperçu des que j’eus l’occasion d’entendre Jacquet « en personne » à New York. Sa sonorité est extrêmement chaude, vibrante, moelleuse, ample, profonde. Quelle chance de la retrouver dans ce disque ! 
Illinois Jacquet
Quant au style, Jacquet, vous le savez, a principalement puise chez Herschel Evans. Il a fait aussi pas mal d'emprunts à Lester Young. Comme ces derniers sont plus « voyants », et comme, d’autre part, la plupart des amateurs connaissent beaucoup mieux Lester qu'Herschel, l’influence de Lester a souvent été signalée comme étant la principale. En réalité, psychiquement parlant, Jacquet est entièrement du cote Herschel : on trouve dans son Jeu une émotion presqu’aussi intense, le même abondant emploi, d’inflexions larges et véhémentes, le même lyrisme dans l’exécution de phrases concises et chantantes. Les seules différences marquantes viennent de ce que Jacquet emploie de temps en temps des phrases volubiles et qu’il joue parfois « à l’arraché » (Bottoms Up). Mais écoutez (par exemple) le début du chorus de ténor de Robbin's Nest ou les mesures 8-11 du chorus de Lean Baby : c’est tout à fait dans le « groove » d’Herschel  ; et il y a bien d’autres passages analogues.
Il n'y a, dans ce recueil, aucun déchet. D’un bout à l’autre, c’est du jazz swinguant, direct, de première qualité. Illinois Jacquet est à peu près le: seul soliste mais l’orchestre qui l’entoure joue excellemment, tirant le maximum d’arrangements simples mais plaisants (écrits vraisemblablement par Jimmy Mundy - la plupart du moins). Ces ensembles sonnent d'autant mieux qu’ils sont enregistrés non moins bien que le saxo ténor de Jacquet, ce qui n'est pas peu dire.
Trois morceaux sont entièrement joués en solo par Jacquet : That's‘ my desire, Ghost of a chance, Teddy Bear. Les deux premiers sont des « ballades » en tempo lent. That’s my desire est ce morceau qu’interprétait souvent Louis Armstrong en duo avec Velma Middleton. En dehors de Pops, nul ne nous en a donné une aussi belle version qu'Illinois .Jacquet. On y retrouve l’émotion d’Herschel Evans dans son célèbre Blue and Sentimental avec Count Basie. Jacquet a enregistré plusieurs fois Ghost of a chance et je trouvais déjà la version originale (enregistrée en 1945 pour « Apollo ») d’une beauté comparable aux fameux Ghost of a chance de Chew Berry et de Lester Young. La présente: version est d'une valeur musicale au moins égale à l’ « Apollo », mais on prend plus de plaisir à l'écouter, le vibrato si émouvant de Jacquet ressortant bien mieux. D’ailleurs, si Jacquet reprend certaines phrases de la version « Apollo », il y a aussi de nouvelles idées.
Dans Teddy Bear, blues en tempo moyen, Jacquet est accompagné par la section rythmique seulement (et sans le guitariste, semble-t-il). Ici, il utilise nombre de riffs de Lester Young mais les swingue de façon plus appuyée, plus véhémente. En tout cas, il SWINGUE !  — avec une intensité qui ne se dément pas un instant. Dans la section rythmique, le musicien qui lui apporte le plus est Al Lucas. Je me demande pourquoi personne (y compris moi-même) n’a jamais chanté les louanges de ce remarquable contrebassiste. C’est un régal de suivre sa partie dans ce Teddy Bear (et aussi dans les autres morceaux). Dans The King aussi (qu’il enregistra autrefois avec Count Basie), Jacquet emploie des tournures familières à Lester Young. L’orchestre swingue fort bien les riffs d'accompagnement des deux derniers chorus. Seul, le « pont » du premier chorus, joué à la trompette, fait tache dans cette interprétation: Russel Jacquet, qui est un bon trompette, n'aurait jamais dû écouter les boppers. Notez, par contre, comme il joue bien dans Sleeping Susan : là, il est tout à fait dans la note.
Un bien beau disque. Un disque suprêmement « JAZZ » d’un bout à l’autre. A ne pas rater